La guérison dérive d'un retour aux origines des choses.
Mircea Eliade

L'ordinaire est l'extraordinaire.
Wang Xiang Zhai

Le regard taoïste a observé qu'en vieillissant nous perdons l'intégration du corps et de l'esprit qui fut nôtre en très bas âge. Cela survient au plan physique consécutivement à l'adoption de mauvaises postures et à l'accumulation de traumatismes et de séquelles de maladies.

Il en résulte au fil du temps une perte de souplesse, de spontanéité et une rigidité entravant la libre et harmonieuse circulation du qi. Cette ankylose amène à son tour différents déséquilibres menaçant la santé à divers niveaux. De surcroît, un état de déséquilibre demande des ajustements constants en plus de générer tensions et stress.

Comme la consommation d'énergie est au moins proportionnelle à l'accumulation des tensions, un épuisement est à prévoir au bout d'un certain temps. Nous pouvons voir ici l'importance de restaurer l'équilibre et de diminuer les tensions, mais comment? Par un retour à la simplicité.

Pour la culture dans laquelle nous vivons et les adultes que nous sommes devenus, c'est une observation aujourd'hui triviale que de faire remarquer que la position naturelle debout constitue le propre du genre humain. Elle est cependant partagée par tous ses membres indépendamment des distinctions de races et de cultures. Elle résulte de millions d'années d'évolution et elle est aussi considérée comme un facteur dans la poursuite de celle-ci.

Durant tout ce temps, chacune de nos cellules s'en est imprégnée et c'est dans cette posture que nous entretenons la relation la plus simple avec les lois du monde physique. Une grande partie des bienfaits du zhan zhuang découle d'une prise de contact avec notre centre et ce, tant du point de vue physique que psychologique.

" Quand une personne se tient debout, elle est centrée ", de dire Fong Ha. La position debout se fonde sur un principe d'équilibre des tensions musculaires à partir duquel il peut se produire un relachement de celles qui sont superflues (relaxation), de même qu'une libération des attitudes mentales inadéquates (tranquillité).

Cet équilibre dépend lui-même d'un ajustement continuel par rapport à un centre et c'est dans l'immobilité physique et intellectuelle qu'il est le plus facile de le trouver. Un retour à notre bien-être physique originel s'opère progressivement à mesure que nous développons cette faculté que nous possédons tous de prendre contact avec notre centre et de le regagner quand nous le perdons.

Nous retournons à l'état "sung" que nous traduisons tant bien que mal par "relaxation" tout en sachant que ce n'est pas entièrement exact. "Sung" constitue un état intermédiaire entre "ying" (dur) et "ruan" (mou, flasque) impliquant "yi" (intention, volonté). Lorsque le corps est "sung", il est relaxé mais chargé avec le pouvoir de la conscience. Entre la tension et le relâchement total, se retrouvent souplesse, ressort et spontanéité.

Le monde animal regorge d'exemples pour illustrer ce que nous entendons par "sung": c'est le chat semblant dormir mais prêt à bondir sur sa proiee ou lehéron droit comme une tige qui, soudainement, harponne le poisson que lui amène le Tao.

Au plan mental, ce n'est pas d'aujourd'hui que la civilisation pose des problèmes aux individus. Déjà, il y a plusieurs millénaires, éducation et socialisation contribuaient par la genèse de tensions psychologiques à provoquer des conflits intra-psychiques venant nuire à l'unité primitive du corps et de l'esprit.

Incorporant des principes du Boudhisme chan, le zhan zhuang intervient aussi à ce niveau. Il atténue progressivement les incohérences de la sphère mentale par l'entretien d'images spécifiques au niveau de la pensée.

De longue date, il a été observé que le focus du mental possède un effet calmant pour lui-même. L'observation détachée de soi et de ses sensations chasse les conflits et conduit à l'unification du corps et de l'esprit symbolisée par un jeune enfant dans la tradition chinoise.

Juste en se tenant debout, nous ne jugeons pas le bon ou le mauvais mais nous développons seulement la reconnaissance d'un "feeling". Il n'y a qu' une image vers laquelle le corps tend à se conformer selon ses capacités du moment. Il n'y a pas de tentative d'interrompre la pensée ou de vider l'esprit; ce qui engendrerait un conflit, donc un stress.

Peu à peu, le sujet entrera en méditant dans un état de non-dualité tranquille, accèdera à une présence vigilante dans l'instant et à une détente mentale décrite par l'idéogramme "jing".
Jing
Sung

Bien que décrits séparément, "sung" et "jing" ne vont pas l'un sans l'autre mais plutôt s'influencent mutuellement. Ils figurent parmi les concepts clés sur lesquels repose la pratique du zhan zhuang.

 

L'attitude comme contexte de pratique

Une attitude de relâchement et de détachement revêt de l'importance, de même qu'un consentement à perdre un certain contrôle. Paradoxalement, c'est en concédant à ce niveau qu'il est possible d'en faire une expérience positivement renforcée tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de nous.

La réduction de la peur, du désespoir et d'un sentiment de "victimisation" contribue au développement d'une expérience de sécurité et de nouvelles attitudes envers la vie. De cette manière, nous permettons au corps et à l'esprit d'utiliser la force qui leur est inhérente d'une manière coordonnée.

Ce faisant, nous rejoignons la philosophie de non-interférence et de non-action (wu wei) propre aux taoïstes qui contribuèrent pour une large part au développement du zhan zhuang.

Deux maîtres taoïstes contemporains nous informent au sujet de "wu wei". Dabord Hua Ching Ni:

"Non-action" est le terme utilisé généralement pour décrire l'idée d'un processus naturel. Toutefois, la non-action ne veut pas dire "ne rien faire" mais plutôt éviter de disperser son énergie. La vraie signification de la non-action se retrouve dans la permission donnée à la nature de suivre son cours sans interférence et dans les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif.

Puis Deng Ming Dao, nous en fournit une autre illustration concrète:

 

"Lorsque le tigre veut sa proie, il s'élance sur elle sans aucune pensée ni hésitation. Aucune morale, aucune culpabilité, aucun problème psychologique, aucune idéologie n'interfère avec la pureté de son acte. Cette grâce inflexible dans l'action est appelée non-action."